Sœur Gabriela
Extrait d’un interview du journal « Perfil », Talca
« Cette vocation de sœur du Prado - depuis 1964 -
a rempli toute ma vie, avec de joies et de souffrances, mais elle en vaut la peine ! »
Je suis née à Talca, à 300 km au sud de Santiago. Jeune, j'ai rejoint la Jeunesse Ouvrière Catholique (JOC), où j'ai rencontré d'autres jeunes femmes qui cherchaient leur vocation.
Aux débuts des années 1960 le monde du travail suscite une vive inquiétude dans les sphères sociales. À la fin du XIXe siècle, le pape Léon XIII avait consacré la première encyclique sociale, « La condition ouvrière ». Le Chili était un pays pauvre, avec d'énormes inégalités. La plupart des travailleurs urbains et ruraux avaient une mauvaise qualité de vie.
L’aumônier national de la JOC, Enrique Salman nous a accompagnées pendant deux ans pour discerner une éventuelle vocation religieuse. En discutant avec l'évêque, Mgr Manuel Larraín, nous avons vu que les Congrégations qui existaient à Talca, ne correspondaient pas à notre recherches. Il a autorisé le Père Salman à se rendre en Allemagne et en France pour rencontrer des communautés religieuses qui vivraient ce que nous cherchions. C'est ainsi que le père a fait la connaissance des Sœurs du Prado. Elles n'avaient aucune présence en dehors de la France.
Après ce temps de discernement vécu au Chili pour chacune, Mgr Larraín a organisé le voyage de cinq d'entre nous « Talquinas » (de Talca), en pays gaulois… pour connaître la vocation du Prado. Nous y sommes restées quatre ans. L'engagement pris avec l'évêque était que, devenues soeurs du Prado, nous retournions auChili.
Les sœurs et prêtres du Prado se caractérisent par la vie avec des gens simples, partageant leur travail et leur pauvreté.
Je suis heureuse d'avoir suivi cette vocation qui a inspiré 57 années de ma vie, ces dernières consacrées au partage avec des personnes handicapées comme moi.
Les débuts au Chili
«Nous sommes revenues en avril 1965, au diocèse de Talca - avec trois sœurs françaises - à la paroisse de Santa Teresita. Nous n'avions rien du tout et l'évêque est arrivé avec des couvertures et d'autres choses."
J'y suis restée un temps et puis nous avons été invitées à former une communauté dans un nouveau secteur de Santiago. Nous y sommes parties trois. C'était un secteur très marginal appelé El Salto. C'était très beau. Nous n'avions pas de maison où aller. Des sœurs (d’une autre Congrégation) nous accueillaient pour passer les nuits. Avec quelques prêtres, nous avons commencé à construire une simple maison - préfabriquée, avec des panneaux en bois, avec «le Foyer du Christ », une fondation pour les sans-abris. Pendant la journée nous travaillions à la construction et la nuit nous allions dormir chez les sœurs. Les voisins nous soutenaient avec de la nourriture puisque nous vivions de sandwichs et de café. Quand nous avons mis les fenêtres, bien que sans vitre, nous nous sommes dit, " maintenant nous l’utilisons". Plus tard, de nouvelles communautés ont été ouvertes près de Talca»
« Je suis allée dans de nombreux endroits - à la ville et la campagne - ça ne m'importait pas d'aller n'importe où… les pauvres sont partout… Puis, à cause de ma maladie je suis retournée à Santiago, et encore une fois je suis retournée à Talca, cette fois marquée par mon handicap. A quarante ans j'étais disponible pour aller en Colombie, mais on a détecté ce virus qui me paralyse. J'ai d'abord utilisé des béquilles, puis un fauteuil roulant. Pendant de nombreuses années, j'ai fait de la catéchèse, la catéchèse adaptée au monde des handicapés est née. »
Vie de travail salarié
« Selon notre charisme, nous avons commencé à chercher du travail. Nous travaillions comme femme de ménage … aussi de la couture à faire à la maison. Il fallait aller chercher le travail et le rapporter pour le rendre. Pendant un certain temps, nous avons travaillé dans l'entreprise Calpani qui fabriquait des chaussures. Il fallait passer toute la journée à travailler avec l'agorex, l'odeur était forte.
« A Talca, la communauté a travaillé pour l'entreprise Calaf et aussi pour Fanavesa. Certaines personnes n'ont pas compris cette option.
J’ai travaillé comme femme de ménage… aussi j’ai été demandée pour accompagner les employées de maison. J'ai travaillé dans une maison où ils m'ont très bien accueillie, mais j’ai connu aussi ce que c'était d'être humiliée, de manger debout dans la cuisine, de travailler jusqu'à la dernière minute sans répit. »
Une vie sans privilèges
: « Le charisme de mon Institut a commencé par une grâce reçue par notre fondateur, le Père Antoine Chevrier. Il méditait sur la crèche, à Noël 1856. Il a découvert comment Jésus, étant Dieu, était descendu pour se faire homme et mener une vie simple à Nazareth, sans grand privilège. »
« Il disait de contempler Jésus-Christ dans la crèche, sur le Calvaire et dans le tabernacle, pour former des apôtres pauvres pour les pauvres, vivant une vie simple d'amour pour les petits. C'est être là où personne ne veut être. Le fait de ne pas avoir d'œuvres nous donne la liberté de nous insérer dans la vie des gens, d'être une de plus et à partir de là partager notre foi. »
“Dans ce moment actuel où l'Église est remise en cause dans le monde entier et particulièrement au Chili, en raison des abus sexuels et de conscience de certains de ses ministres, redécouvrir la suite du Christ dans la simplicité et la pauvreté pourrait être un moyen de retrouver la crédibilité perdue. Comme d'autres religieux et religieuses, j'ai choisi de vivre comme une de plus au milieu des plus simples."
Des années de dictature
« La période de la dictature a été très dure. A Santiago nous avons eu des raids, des menaces et nous avons vécu des choses très douloureuses en accompagnant les gens. Je me souviens qu'une nuit alors qu'une future maman allait accoucher, une de nos sœurs l’a mise dans une voiture et elle est partie avec elle portant un mouchoir blanc (en signal de paix). Notre charisme nous a donné la liberté d'être avec les gens et nous étions prêtes à donner notre vie si c'était nécessaire… »
Depuis quelques années à cause de ma maladie dégénérative je vis au "Centre Esperanza Nuestra" pour des personnes handicapées à Maipú (Santiago).
Témoignage de Jeanine sur sa vie en EHPAD
« Je suis la lumière du monde, celui qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, il aura la lumière de la vie » (Jean 9.5)
Joséphine, secrétaire d’accueil de l’EHPAD, arrive dans ma chambre, j’étais en train de regarder la messe à la télévision. – « Je repasserai » me dit-elle.
J’ai admiré sa délicatesse, ce qui m’amène à dire merci, je ne sais si Joséphine est croyante, mais je crois qu’elle est porteuse du message de Jésus-Christ.
« Je suis venu pour que les hommes aient la vie et qu’ils l’aient en abondance », c’est ce qu’elle transmet à ceux qu’elle rencontre à l’EHPAD, résidents, familles et visiteurs.
Malou et Jeanne, toutes deux résidentes, sont très touchées par la maladie, arrivent au repas en se donnant la main, très souvent elles sont seules, ou accompagnées par des soignants ; quelle ne fut pas ma joie de les voir s’entraider. A travers elles, c’est toi Jésus que j’ai rencontré, car tous ces petits gestes de chaque jour me redisent ta présence au milieu de nous.
« Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps ».
Ce que je trouve de formidable c’est cette ouverture qu’elles ont en les voyant agir. Cela me rappelle cette parole de Jésus : « Ce que vous faites aux plus petits d’entre les miens, c’est à moi que vous le faites ».
Joséphine, résidente bientôt centenaire, a le cœur sur la main, toujours prête à rendre service, est maintenant très affligée, en tombant elle s’est fracturée la jambe, elle ne remarchera plus, c’est très difficile pour elle d’être en fauteuil et de se déplacer, je l’ai vue à l’œuvre.
Sœur Suzanne, centenaire, est très attentive et présente aux plus fragiles d’entre-nous, elle s’inquiète de ceux qui sont fatiguées, elle les visite pour prendre de leurs nouvelles.
Marie-Bernadette musulmane, sait voir les besoins de chacun, un jour elle s’est levée de table pour ranger le col de la robe de Simone. Dans les conversations, elle répond toujours ; souvent à cause de sa maladie, la réponse n’est pas adaptée.
Un jour, j’arrivais à la salle à manger pour le repas de midi, il n’y avait encore personne, les chaises bien rangées étaient enfoncées sous les tables. Aline, grande souffrante, a rarement le sourire ; elle arrive seule, elle s’assied et aussitôt prend mon bras, le caresse pour me dire merci pour la chaise que je lui avais mise bien comme il le fallait devant son couvert. Tout en me caressant le bras, ce qui m’a frappée, c’est son visage souriant que jamais je ne lui avais vu. Merci Seigneur d’être venu à moi en la personne d’Aline. Là j’ai pensé au Père Chevrier qui disait : « Celui qui a trouvé Jésus-Christ a trouvé le plus grand trésor ».
Oui, merci Aline, qui m’a permis de reconnaître le Seigneur à l’œuvre à travers tous ces petits gestes de chaque jour.
Les soignants sont très attentifs à chacun d’entre nous, ils nous témoignent beaucoup de soins, d’amour, de délicatesse ; cela me rejoint, j’y vois la tendresse de Dieu qui est amour. « Qui demeure dans l’amour demeure en Dieu. »
Samira, aide-soignante, fait mon lit, elle le fait avec soin et attention, je l’ai remercié « un grand merci pour mon lit que tu viens de faire avec tant de précaution, je te félicite ». Une autre aide-soignante qui était dans la chambre dit à Samira : « tu vois, je n’ai pas été félicitée pour son lit, mais elle l’a fait pour d’autre chose ». Cela m’a fait prendre conscience de l’importance de souligner ce qui est bien. N’est-ce pas faire grandir la fraternité et entrer dans le projet de Dieu qui est un projet d’amour ! Merci Seigneur d’avoir suscité en moi l’action de grâce:
« Que tes œuvres sont belles, que tes ouvres sont grandes,
Seigneur, Seigneur, tu me combles de joie ! »
Jeanine D.
Sous-catégories
-
Vie et témoignage
Vie et témoignage
- Nombre d'articles :
- 13
-
Petits bouts d'Evangile
- Nombre d'articles :
- 67